La carrière souterraine des Grands Malades à Beez Namur |
Il existe en Wallonie un vaste domaine souterrain négligé par les spéléos :
les carrières souterraines, vestiges d’une ancienne splendeur économique.
En 1928, on recensait en Wallonie l’existence de 230 carrières souterraines
de calcaire ou de marbre, occupant quelques 2600 ouvriers.
Namur peut se targuer d’avoir une des plus grandes,
accessible par une petite grotte, en technique spéléo. |
X Lambert : 187,9 ; Y Lambert : 128,7.
Planche I.G.N. 47/4, commune de Beez Namur. En montant la route d’Hannut, on peut apercevoir des rochers (Viséen supérieur) d’une forme particulière, plusieurs sont fendus depuis leur sommet jusque près de leur base et sont isolés comme de vieilles tours qui tombent en ruine : « La grande brèche est attribuée à l’effondrement dû à la dissolution des anhydrites. C’est une brèche d’effondrement ancien, correspondant vraisemblablement à des roches marines qui partiellement dissoutes se sont effondrées formant une espèce de cône d’éboulis et qui concomitamment se seraient recimentées. Les processus sont complexes et on est loin de tout comprendre ». Ces rochers furent les premiers à être escaladés par les alpinistes du Club alpin. C’est en face de ceux-ci que s’est pratiqué pour la première fois en Belgique l’aviron, qui entraîna la création du club nautique dont Félicien Rops fut le premier président. |
C’est en 1960 que Jean-Michel François et Amand
Goguillon, sur les conseils d’un riverain, entreprirent d’explorer une crevasse
cachée dans des broussailles d’un des flancs de la carrière à ciel ouvert qui
n’était plus exploitée. Au fond de cette crevasse d’entrée, ils dégagèrent une étroiture qui donna accès dans un couloir menant au sommet d’un puits en entonnoir, de 6 à 7 mètres à la gueule, aux parois terreuses et profond d’une dizaine de mètres. A l’appel d’un courant d’air, ils dégagèrent rapidement un petit trou leur permettant ainsi de descendre quelques mètres plus bas, dans une salle en forme de cloche. Toujours guidés par le même courant d’air, ils durent élargir le passage bas, pour se retrouver à nouveau dans une petite salle en « cloche » également. Là, le courant d’air s’échappait d’entre deux gros blocs. Le 20 juin 1960, aidés par Marcel Collignon, ils élargirent ce dernier obstacle pour ainsi atterrir, par le toit, sur le sol de la vaste carrière souterraine des « Grands Malades ». Le nom de « Trou des charrues » fut donné à cette cavité par les inventeurs parce que, pendant la guerre 14/18, pour ne pas répondre aux ordres de réquisition des métaux ferreux par l’armée allemande, un cultivateur y aurait précipité, en pièces détachées, les charrues qu’il possédait (roues, bâtis, socs et autres timons...). Deux extirpateurs découverts à la base du puits ont confirmé cette histoire orale. C’est la curiosité de deux jeunes d’une quinzaine d’années, leur courage et leur obstination qui nous permettent de découvrir actuellement des pisolithes ou perles de cavernes (1), des coulées de calcite merveilleusement oxydées par le fer, des concrétions en forme de mûres noyées dans des gours. A l’époque, on y découvrit aussi des colonies de niphargus. A noter que tout cela se trouve dans la carrière souterraine, il y a en effet très peu de concrétions dans la grotte même, qui fait 44 mètres de profondeur. Il y a peu de temps, le Club Alpin avait l'autorisation d'accéder à la carrière par la cheminée. Hélas, ce fût de courte durée : l'accès est fermé pour des problèmes de voisinage.
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La carrière souterraine se trouve au lieudit « Grands Malades » à Beez,
« dans les falises (falaises en wallon) de Herbattes ».
Au début du 13e siècle, des croisés ramenèrent d’Orient une terrible maladie
très contagieuse : la lèpre.
Il fallait prendre des mesures pour empêcher le contact des malades avec
la population. La première mention écrite et fiable, de la présente d’un hospital des Grands Malades, remonte à 1210. C’est la gravité de la maladie et la terreur qu’elle inspirait qui donnèrent à ce lieu cette appellation, encore utilisée de nos jours, tant pour la carrière que pour les rochers, le pont et l’écluse. L’exploitation de ces carrières paraît remonter au moins au 14e siècle ; mais on ignore si l’hospice en était déjà propriétaire à cette époque. Le 7 juin 1516, « la roche des Grands Malades fut rendue à Jado Fontaine » pour le terme de huit années moyennant un fermage de deux florins. Le 16 octobre 1522, le bail fut renouvelé pour le terme de douze années, le fermage était alors de soixante-quatre patars et Jado s’engageait « à faire livrer à la chapelle des malades les piers de tailles pour faire une wairier (?) de la valeur de six florins pour une fois à payer ». En 1621, une des carrières était affermée pour quatre florins dix sols, et une autre avec un petit jardin pour vingt livres. Le 29 octobre 1691, « certaine falise située aux Grands Malades fut louée pour le terme de neuf ans, moyennant une redevance annuelle de sept florins ». |
Au 18e siècle, un écrit conservé aux archives de l’état à Namur nous parle
de la présence de deux carrières, la carrière Gilson et la carrière des
Grands Malades. Le terrain sus-jacent appartenant à l’hôpital, le tréfonds, constitué des vides de carrières, lui appartient aussi. Deux locataires exploitants s’occupent d’en tirer la pierre : il s’agit de N. Gilson pour les vides septentrionaux et de Thierry Delwiche associé depuis 1740 à son fils Jean-François pour la carrière inférieure, au sud. C’est dans cette carrière que depuis un certain temps se produisent des irruptions d’eaux venues de la carrière supérieure entraînant des accidents rocheux et des pertes d’outils. Aussi, en mars 1775, une plainte est déposée contre Gilson auprès du maître de l’hôpital pour régler le différend. Après visite des vides et arpentage par un géomètre, on constate qu’effectivement, le pendage des bancs disposant la carrière Gilson en contre-haut de la carrière Delwiche, celle-ci récupère toutes les eaux venant de celle-là, mais que l’étau de masse séparant les deux exploitations n’a subi aucun dommage. Outre la mise en œuvre de quelques dispositions curatives, Gilson est prié de ne plus empiéter vers la carrière voisine, à l’est. Désormais, il s’étendra vers le nord. A partir du 1er mars 1786, « la carrière des Grands Malades » fut affermée pour le terme de douze années. Le locataire, Nicolas François Dufer, en rendait annuellement soixante écus, plus une fourniture de pierres d’une valeur de cinq florins ». En 1832, dans son dictionnaire géographique, Ph. Vander Maelen nous dit que « les voitures y entrent sans peine et vont prendre la pierre jusque dans l’intérieur du rocher. Les eaux qui suintent à travers les voûtes rendent les chemins fort incommodes ; elles sont chargées d’une grande quantité de chaux carbonatée ». M. Quetelet a remarqué dans l’intérieur de la carrière une petite source près de laquelle on avait travaillé récemment, et plusieurs fragments de pierre calcaire se trouvaient déjà soudés ensemble. La direction des bancs s’incline vers le S.E. Ces bancs ont quelquefois jusqu’à près d’un mètre d’épaisseur, mais leur pente n’est guère que d’une trentaine de degrés. Pour exploiter les pierres, on les détache d’abord sur les côtés au moyen de coins de fer et on les fait glisser ensuite sur la couche inférieure ; voici les noms et les épaisseurs en mètres des bancs, dans leur ordre de superposition naturelle, en commençant par ceux du dessus :
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De tous les marbres de la même couleur que l’on
exploite sur divers points de la province, le marbre des Grands Malades est
celui qui résiste le mieux à la gelée et à la chaleur ; mais il est rarement
exempt de terrasses (fentes très minces remplies de matière argileuse),
de veinules et de taches blanches, et surtout de clous (rognons arrondis de
jaspe schisteux qui dépassent toujours un peu, après le polissage le plus soigné). On trouve dans cette carrière, entre plusieurs bancs, des écailles d’un noir « subluisant », que M. Boursuel regarde comme un véritable anthracite, semblable à celui que M. d’Omalius a découvert dans la chaux carbonatée laminaire de Visé ( Liège ) ». En 1844, on vit apparaître sur tous les murs de la ville |
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C’est J.-B. Fallon qui en devint acquéreur par actes du 27 novembre et 11 décembre
1846. Alors que la léproserie était abandonnée depuis longtemps, les rochers des
Grands Malades furent donc envahis par l’exploitation de carrières et fours à
chaux. Une partie des bâtiments était déjà en ruine et, quant à la chapelle,
elle servit pendant quelque temps de soute à charbon. Une guinguette
« Aux Grands Malades - Estaminet, vend bières et liqueurs » a aussi pris place
dans un des bâtiments. Il faut savoir que l’endroit était devenu lieu de promenades dominicales pour les Namurois. En 1857, l’extension de la carrière à ciel ouvert alimentant les premiers des nouveaux fours à chaux détruisit toute trace des bâtiments. On a exploité très tôt le calcaire dans les collines qui ceinturent au nord le territoire de Namur ; des dalles funéraires de citoyens romains (des Namurois) du 2e siècle découvertes à la citadelle en sont la preuve. Il s’agit bien de pierre bleue de provenance locale. Au Moyen Age, des débris de sculptures recueillis çà et là en témoignent aussi. Les carrières namuroises (une dizaine en 1289), en plus de fournir la localité, exportaient dans le pays de Liège. L’extraction y était donc importante au point d’entraîner des attaques, notamment en 1203, lorsque des émeutiers s’emparèrent à Huy d’un bateau chargé de « pierres de Namur » faisant route vers Liège. Les piliers de la collégiale de cette ville étaient en pierres de Namur, livrées en 1310. Considérée comme matériau de luxe, l’emploi de la pierre namuroise était réservé à l’architecture monumentale (édifices religieux ...). A la fin du 19e siècle, une brasserie dite « des Carrières de Marbre » semble avoir utilisé les lieux pour y faire fermenter ses bières.
Merci à la Société archéologique de Namur pour ces trois derniers documents.
Coll. Société archéologique de Namur. Fonds Jules Borgnet (propriétaire). Archives régionales du Service public de Wallonie – Moulins de Beez.
| D) Situation actuelle
| E) Topographies |
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F) Accès à la carrière des grands malades et trou des charrues |
Pour avoir accès au trou des Charrues…
Envoyer un e-mail à grands-malades@ssn-speleo-namur.be
en précisant le nom du groupement, le nom du responsable, la date de visite, l’importance du
groupe.
téléchargez le pdf ci-dessous, complétez le,
datez le, signez le et joignez le directement à l’e-mail.
formulaire d'accès à la Carrière des Grands Malades et trou des charrues
En retour le demandeur recevra quelques consignes à suivre et le code du
cadenas.
Bibliographie |
Pays de Namur n° 8, février 1970. Au royaume d’Hadès, 1984, n° 4. Revue S.S.N., 1983. Beez au fil du temps, Pol Maquet, 1995. Namur nature, 1996. Dictionnaire géographique de la province de Namur, Ph. Vander Maelen, 1832. Annales de la société archéologique de Namur, t. 1, Jules Borgnet, 1848. Annales de la société archéologique de Namur, 1849, Jules Borgnet. Inventaire de quelques anciennes mines et carrières souterraines de Wallonie, 1991, Michel Cauberg. Namur la belle, 1re année, n° 37. Les Rochers des Grands Malades, Ardennes et Alpes, bulletin du Club alpin belge, n° 128. Namur et sa province dans l’œuvre du général Howen (1817-1830). Moniteur belge : 25 déc.1930, p.2185, actes 17416 et 17417. Saint-Hubert d’Ardenne, hommage à Léon Hannecart, Fr. Jacquier Ladrier, pp. 415 à 425. Les fours à chaux en Europe, colloque du 3 septembre 1994, musée de la Pierre de Maffle, Th. Cortembos. M. Michaël Vermeren a élaboré un très intéressant site, qui parle entre autres de la brasserie des Carrières de marbre. |
Remerciements |
Merci à Amand Goguillon pour ses souvenirs et à
Danièle Uyterhaegen pour son aide précieuse. Merci aussi à Mme Robinet pour ses compléments d’informations qui ont rendu cet ouvrage encore plus complet. Merci à la Société archéologique de Namur et particukièrement Aurore Carlier Gestionnaire des collections ainsi que le SPW moulin de beez, et particulièrement Fabienne Van Cranenbroeck : Attachée, archiviste Merci aussi à Jean-Paul Delacruz pour ses photos. |